Carnets de recherche

Les Cahiers d’écoliers ou les devoir de vacances :
  1. Professeur et directeur du collège d’Azrou, Roux s’intéresse à la
    collecte par la médiation pédagogique. Grâce à ses élèves berbérophones et
    arabophones ayant appris le français dans les écoles et les collèges berbères
    et musulmans, il rassemble des informations et des données qui ont une valeur historique,
    ethnologique, linguistique et culturelle. Il s’appuie sur la parfaite
    connaissance de ses élèves de la langue et des parlers locaux, des coutumes et
    des mœurs, sur la possibilité qu’ils aient de transcrire leurs dialectes berbères
    en caractères latins, d’illustrer leur propos par des dessins ou de les
    traduire en français, pour obtenir des textes qui sont aujourd’hui des sources
    pour la recherche dans le domaine des études berbères.
  2. Il s’est basé sur la langue maternelle de ses élèves, sur la connaissance
    du terrain des acteurs de l’administration (Militaires, contrôleurs civils,
    instituteurs…) dans le cadre de la formation au brevet de berbère, sur son
    réseau d’informateurs pour constituer ce corpus unique qui témoigne de son
    intérêt pour les langues vernaculaires qu’elles soient arabophones ou
    berbérophones.
  3. La connaissance des parles locaux et de l’environnement social et
    familial (la plupart des informateurs appartenaient au cercle familial des
    élèves ) pour l’administration et l’institution éducative, font partie des efforts
    de pacification dans une zone de dissidence qui a connu une longue résistance
    pendant la pénétration militaire française.
  4. Jean-Claude-SERRES[1],
    successeur d’Arsène Roux au collège berbère d’Azrou, écrit : « Demandons
    à nous élèves de nous parler en français de leur genre de vie, de leurs mœurs,
    de leurs croyances, de quelque chose qui se rapporte, même parfois d’assez
    loin, à leur milieu : ils sont gauches, réticents, parfois honteux, toujours
    raidis si non méfiants. C’est dans leur propre langue qu’ils se livrent le
    mieux, qu’ils se confient avec le moins de gêne, spontanément, naturellement.
  5. Est-il besoin de dire tout l’intérêt que représentent ses
    renseignements de première main, pour les enquêtes scientifiques, puisque nous
    rentrons de plain-pied dans la connaissance des Marocains eux-mêmes. Ici comme
    ailleurs, les sciences de l’homme, dans un souci de précision qui est le leur,
    doivent s’étayer sur la terminologie propre au groupe social étudié. »
  6. Pendant huit ans (1927-1935), Arsène Roux recueille ainsi de
    précieux matériaux sur les dialectes, les tribus, les célébrations et les rites
    du Maroc central. Une partie de ses élèves restera en contact avec lui, même
    après s’être installés dans d’autres régions du Maroc où ils exerçaient leur
    fonction dans l’administration du Makhzen sous protectorat français.

  

La plupart des élèves, selon Mohamed Benhlal, proviennent des
petites écoles franco-berbères satellites du Maroc central sur la base d’un
recrutement au mérite (les meilleurs, 2 ou 3 par école du CE2) et le reste du
bourg d’Azrou. La scolarité au collège se faisait exclusivement en français. L’arabe
et l’enseignement des sciences religieuses étaient proscrits. La scolarité est
organisée autour de l’apprentissage des connaissances usuelles : calcul,
géographie locale, agriculture, élevage, jardinage, hygiène... Elle se termine
à la troisième avec l’obtention ou pas du certificat des études secondaires. L’effectif
du collège représente 200 collégiens, dont 60 internes : cinq classes de
primaire conduisant au certificat d’études primaires musulmanes (CEPM), trois
classes de secondaire et une classe préparatoire.
 

Le collège disposait de trois sections : la section normale
qui prépare en une année à la fonction d’instituteur indigène ; la section
des tribunaux coutumiers à laquelle on peut accéder dès la 4e qui
forme en une année aux fonctions de secrétaire des tribunaux coutumiers ;
la section militaire qui envoie en priorité les fils de grandes tentes à
l’école militaire de Dar Beida de Meknès.
 

Le régime d’enseignement au collège berbère est limité à
l’obtention du certificat d’études secondaires musulmanes (CESM) sans
perspective de passer le baccalauréat pour les études supérieures. Le but étant
de faires des collégiens berbères des commis de l’administration et des
sous-officiers dans l’armée française.
 

  

  

Arsène Roux, alors qu’il est par la suite, directeur du collègue
musulman de Rabat et directeur d’études de dialectologie berbère à l’Institut
des hautes études marocaines (IHEM), son activité s’est poursuivie par un
travail organisé de dépouillement et d’analyse des matériaux collectés. Son
objectif : la confection des lexiques, des glossaires et des manuels
destinés aux cours de berbère par correspondance pour les étudiants se trouvant
dans l’impossibilité de suivre les cours publics dispensés dans les quelques
centres régionaux de l’IHEM.
 

Ce corpus des cahiers d’écoliers constitue une documentation
exceptionnelle qui vient enrichir les études berbères et rend compte des étapes
des activités de collecte, de recherche, d’enseignement et d’encadrement, qui
éclaire l’histoire des savoirs et leur circulation dans le Maroc colonial.
 

  

Divers thèmes ont fait l’objet de ce travail de collecte :
les labours, les saints, la vie agricole, l’élevage, les serments, les lieux
sacrés, les sous-entendus, les devinettes, les contes, les confréries
religieuses, tatouages, les rites de pluie…
 

  


   

 

[1]
Directeur du collège d’Azrou, « Remarques sur l’intérêt que représente, pour
les maitres, l’étude du parler local, et pour les élèves la connaissance
raisonnée de leur langue maternelle », Semaine pédagogique
–n° 213, 1951, pp-189-200. (p. 198)